Les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut couvrent de vastes étendues, situées principalement au nord du 60e parallèle et représentent environ le tiers de la superficie totale du Canada. La population de cette immense région est d’environ 85 000 personnes, et les communautés de Yellowknife et d’Iqaluit comptent pour 40 % de la population.

Dans les deux territoires, les gouvernements territoriaux sont ultimement responsables de fournir des systèmes de distribution d’eau et de collecte des eaux usées aux 58 collectivités. Cependant, dans les Territoires du Nord-Ouest, une grande partie de cette responsabilité a été dévolue aux collectivités, en particulier aux plus grandes.

Sur les 58 communautés, seulement 10 ont des canalisations et des systèmes d’égout, et les autres sont desservies par camions-citernes pour l’eau et les égouts. Au cours des 60 dernières années, des systèmes d’approvisionnement en eau et de collecte des eaux usées de différents types et matériaux ont été installés. Bien qu’ils n’aient pas toujours été couronnés de succès, ces systèmes ont fourni une expérience inestimable et ont tous contribué à l’élaboration des normes utilisées aujourd’hui.

De nombreuses innovations ont été réalisées dans le cadre de l’élaboration et de l’évolution des normes utilisées aujourd’hui, et l’une des plus importantes a été la protection contre le gel des systèmes d’eau et d’égouts. Le gel est le résultat inévitable du placement de conduites remplies d’eau dans un environnement dont la température est inférieure à 0 °C, et le gel entraîne généralement des dommages considérables aux conduites. La situation n’est donc pas souhaitable.

Les réponses classiques à la protection contre le gel ont été d’éviter les environnements gelés ou de mettre en place des mesures de protection contre le gel. Pour éviter le gel, l’approche la plus courante a été d’enfouir les conduites suffisamment profondément pour s’assurer qu’elles fonctionnent dans un sol non gelé, ou de fournir une isolation autour de la conduite pour empêcher le gel de pénétrer à la profondeur du pipeline.

D’autres mesures courantes de protection contre le gel ont été appliquées dans l’Arctique canadien : l’isolation de la conduite elle-même en appliquant une couche de mousse de polyuréthane installée en usine afin de réduire la perte de chaleur, et le réchauffage des conduites au moyen d’un câble chauffant adjacent à la conduite pour compenser la perte de chaleur de la conduite. L’isolation des conduites réduit le taux de perte de chaleur et retarde le temps de gel. Toutefois, le gel demeure inévitable si on attend suffisamment longtemps.

Les possibilités d’optimiser la protection contre le gel par réchauffage des conduites sont limitées, comme le contrôle thermostatique dans de petites portions du système de distribution. Toutefois, le fonctionnement des câbles de réchauffage des conduites est coûteux et, par le passé, ils ont été peu fiables et sujets à des pannes après un certain temps.

La pratique fondamentale des systèmes de distribution d’eau, développés dans le sud du Canada, a été de concevoir et de construire des systèmes de distribution d’eau sous forme de réseaux afin d’améliorer la fiabilité et le rendement hydraulique. L’analyse hydraulique suppose souvent que la demande d’eau est uniforme dans l’ensemble du système. La conception hydraulique tient compte des demandes élevées d’eau pour les besoins en cas d’incendie, ainsi que de la demande quotidienne maximale ou de la demande horaire maximale.

Les préoccupations liées au gel dans cette approche surviennent pendant les périodes de faible demande et en raison d’une distribution non uniforme de la demande, ce qui peut entraîner un changement de direction ou une stagnation dans les conduites.

Une innovation en matière de protection contre le gel est apparue avec la prise en compte de la physique du gel de l’eau, qui comprenait les principes de perte de chaleur, de débit-masse et de température ambiante pour estimer une dépression de température de l’eau. Toutefois, l’analyse thermique nécessitait des données sur la température du sol, ce qui n’était pas facile à trouver.

Certaines données étaient disponibles à partir des archives sur les normes climatiques canadiennes, et d’autres données propres aux sites étaient disponibles dans les régions où des recherches agricoles avaient été réalisées. Toutefois, il était habituellement nécessaire de supposer une valeur en fonction de l’expérience et de juger que la température du sol serait quelque peu inférieure à la moyenne climatique, mais supérieure à la température de surface.

Un autre élément de l’analyse a été la température de l’eau dans le système lui-même, qui pouvait être obtenue à partir des données d’exploitation du système. Dans le cas des systèmes alimentés par les eaux souterraines, il existe un avantage en matière de protection contre le gel, car les eaux souterraines sont habituellement beaucoup plus chaudes que les eaux de surface qui sont disponibles pendant les mois d’hiver.

Malheureusement, l’approvisionnement en eaux souterraines est rare dans l’Arctique en raison de l’état du pergélisol. Il n’y a pas d’eaux souterraines au Nunavut et il n’existe qu’un seul système d’eaux souterraines dans les Territoires du Nord-Ouest.

L’approvisionnement en eau de surface peut être difficile et nécessiter un traitement thermique (chauffage). La préoccupation la plus importante est la « dépression de température » qui découle d’un calcul de la perte de chaleur. Le débit volumétrique est utilisé pour calculer le débit massique, et en appliquant la chaleur spécifique, la dépression de température peut être déterminée.

Si tout est en règle avec ce calcul, la masse d’eau quitte la section de conduite en cours d’analyse à une température supérieure à 0 °C. Il est vrai que l’eau peut rester liquide à 0 °C, mais seuls les conceptrices et concepteurs courageux comptent sur la chaleur latente pour éviter le gel.

Les calculs à eux seuls peuvent ne pas suffire à finaliser le système, et il peut être nécessaire de développer une compréhension approfondie des schémas d’écoulement dans le système de distribution. Cette compréhension comprend la détermination des schémas d’écoulement pendant les périodes de faible demande. Le gradient d’énergie peut être très bas en période de faible demande, ce qui pose des défis pour estimer de manière fiable les directions et les volumes d’écoulement. L’historique disponible d’un système d’eau peut donner des indications sur les taux de faible demande, mais si l’information n’est pas disponible, des hypothèses peuvent être nécessaires au sujet des demandes.

Il convient de noter que l’eau en mouvement peut geler avec la formation de frasil, qui est de la glace « molle » ou amorphe formée par l’accumulation de cristaux de glace dans une eau trop turbulente pour geler complètement. Essentiellement, l’eau doit être retirée du système avant que la chaleur nécessaire à la protection contre le gel ne soit perdue, et de l’eau plus récente et plus chaude doit être ajoutée pour compenser la perte de chaleur.

La meilleure protection contre le gel est appliquée à un point éloigné de l’approvisionnement, ce qui garantit que le système tient compte de la consommation et des exigences de protection contre le gel, et assure un certain gradient d’énergie à l’échelle du système.

L’évacuation de l’eau du système avant que trop de chaleur ne soit perdue s’accomplit par deux approches. L’approche traditionnelle a été de « purger » l’eau du système dans le réseau d’égout, ce qui est généralement facile, mais coûteux et déraisonnable.

La deuxième approche consiste à utiliser des pompes qui créent un flux de recirculation. Toutefois, cela signifie qu’un système ne peut pas avoir des boucles fermées locales qui pourraient simplement faire circuler l’eau jusqu’à ce qu’elle gèle de façon uniforme. Cette disposition de conception crée souvent des systèmes d’eau en boucle simple, non maillés, qui sont quelque peu complexes.

Il existe des configurations uniques de tuyauterie et des pièces de matériel uniques associées aux systèmes en boucle. Les configurations uniques peuvent comprendre des systèmes à trois conduites, où la troisième conduite boucle sur elle-même pour contourner un système sans issue. Le matériel unique comprend un système de voûte d’accès isolée, où les tuyaux d’eau et d’égout passent par un point d’accès commun.

En résumé, l’élaboration d’une stratégie de protection contre le gel pour un système d’approvisionnement en eau dans l’Arctique canadien exige une compréhension fiable des schémas d’écoulement indépendants de la demande, une méthode pour prédire la perte de chaleur et la dépression de température, et un débit suffisant pour que l’eau de retour reste au-dessus de 0 °C.

Il est également important de reconnaître que, malgré les meilleurs efforts de conception, des problèmes peuvent survenir. Une approche prudente pour la conception des systèmes d’eau dans l’Arctique ne consiste pas à se demander si le système va geler, mais quand il va geler. À cet égard, il existe des matériaux de tuyauterie qui résistent aux dommages causés par le gel, comme la tuyauterie en polyéthylène à haute densité (PE-HD), qui est le matériau de tuyauterie de choix pour de nombreuses applications communautaires, en particulier au Nunavut.

Publié initialement dans Environmental Science & Engineering Magazine en octobre 2023 par Ken Johnson et D. Farrell McGovern, directeurs de l’ingénierie arctique chez EXP.