Par Alexandre Lynch, ing., chargé de projets, Infrastructures urbaines | EXP
L’augmentation des manifestations environnementales associées aux changements climatiques et leurs impacts sur les collectivités exigent une attention immédiate. L’intensification des précipitations et des périodes de sécheresse constitue un phénomène croissant et inquiétant. Les ingénieures et ingénieurs sont appelés à concevoir des solutions adaptées à cette nouvelle réalité.
En milieu urbain, des périodes de pluie plus intenses peuvent entraîner un ruissellement rapide vers les infrastructures, pouvant créer une saturation du réseau d’égout ou des cours d’eau récepteurs, dont la capacité est limitée. La plupart des systèmes de gestion des eaux en milieu urbain sont de type combiné, c’est-à-dire collectant à la fois les eaux pluviales et sanitaires. Ce type de système d’égout était priorisé par le passé lors des projets de développements urbains. Aujourd’hui, en raison des impacts des changements climatiques, les débordements sont de plus en plus susceptibles d’arriver, causant des dommages coûteux et néfastes pour l’environnement. L’eau excédentaire, contenant des matières polluantes comme des déchets organiques ou des bactéries, risque de se déverser dans les cours d’eau récepteurs sans passer par le processus de traitement habituel. La préservation des berges, de la faune et de la flore devient alors un enjeu central en lien avec ces épisodes de fortes précipitations.
On observe également une augmentation significative des périodes de sécheresse. Ces phénomènes réduisent la capacité des sols à absorber et filtrer les eaux pluviales. Les zones urbaines sont déjà caractérisées par une forte densité de surfaces minérales imperméables, rendant la situation d’autant plus critique. Les espaces verts restant doivent être en mesure d’absorber une quantité d’eau suffisante pour favoriser la croissance d’espèces végétales et ainsi contribuer à atténuer l’effet d’îlot de chaleur.
Ces enjeux nécessitent des interventions ciblées, notamment au niveau de la capacité hydraulique des réseaux d’égout. La densité des villes en termes de logements, d’écoles, de parcs, de commerces et autres infrastructures urbaines, rend l’ajout de systèmes traditionnels comme des réservoirs souterrains complexe et coûteux, dû à l’insuffisance de l’espace disponible. Il est alors crucial de concevoir des solutions novatrices, durables et adaptées à la réalité changeante, qui permettent de diminuer l’impact des changements climatiques sur les infrastructures urbaines et d’augmenter la résilience des villes.
Bien qu’ils soient de plus en plus fréquents, les événements de pluie intense et de sécheresse ne constituent pas des phénomènes quotidiens. Pour arriver à une saine gestion des investissements et des zones communes, les municipalités se tournent vers des aménagements urbains multifonctionnels, offrant une solution résiliente face aux manifestations environnementales tout en permettant aux citoyennes et citoyens de profiter des systèmes de gestion de l’eau lorsqu’ils ne servent pas leur fonction première. Les parcs résilients deviennent alors une solution optimale.
Qu’est-ce qu’un parc résilient ?
Les parcs résilients, couramment appelés parcs éponges, se définissent par la manière dont sont gérées les eaux pluviales au sein d’un espace public multifonctionnel et temporairement inondable, conçu pour posséder des propriétés d’absorption et de rétention. En dehors des périodes de rétention des eaux de pluie, ces espaces peuvent avoir diverses fonctions, allant d’une aire de jeux à un amphithéâtre extérieur ou un terrain de sport, et permettent aux citoyennes et citoyens de s’amuser, de se détendre et de se rassembler. La méthode de gestion de l’eau à favoriser varie en fonction de nombreux facteurs spécifiques à chaque municipalité. Par exemple, un espace public comprenant un bassin de biorétention pourrait être aménagé sur un site où l’on trouve un sol avec une bonne capacité d’infiltration.
En plus d’être généralement moins coûteux que les systèmes traditionnels, les parcs résilients s’intègrent plus facilement en milieu urbain. Certaines conditions favorisent leur aménagement.
- Lieu à forte proportion de surfaces imperméables générant des afflux d’eau importants.
- Lieu à densité urbaine importante nécessitant une maximisation de l’espace disponible.
- Lieu hautement fréquenté pour maximiser l’utilisation de l’espace par les citoyennes et citoyens.
- Lieu à un bas niveau d’élévation pour faciliter la gestion de l’eau.
- Lieu avec un sol relativement perméable et une nappe phréatique suffisamment basse.
- Lieu où le réseau d’eau pluviale est surchargé, permettant d’atténuer les effets des débordements.
- Lieu où le réseau d’égout est de type combiné.
- Lieu où des travaux de construction sont planifiés.
D’où vient le concept des parcs résilients ?
Le premier parc résilient a été conçu en réponse à l’élévation du niveau de l’eau de la mer en bordure de la ville de Rotterdam aux Pays-Bas, où environ 85 % du territoire est situé en dessous du niveau de la mer, la rendant particulièrement vulnérable aux fluctuations et donc aux inondations. Des espaces de rétention sont alors devenus nécessaires pour assurer une gestion efficace et sécuritaire d’évacuation des eaux, dont le niveau a connu une augmentation considérable de 25 % en comparaison avec la période de référence de 1910 à 2009. Le Watersquare Benthemplein1 a alors été conçu pour atténuer les risques liés à cette situation climatique alarmante. Inauguré en 2013, cet espace public permet de contenir jusqu’à 1700 mètres cubes d’eau lors des périodes de fortes pluies et permet une réutilisation de l’eau lors des périodes de sécheresse. Lorsqu’il n’agit pas en tant que bassin de biorétention, il se transforme en lieu de récréation où toutes et tous sont invités à se rassembler, s’amuser et se détendre.
Au Québec, l’enjeu de la gestion des eaux pluviales s’est manifesté davantage vers 2012, alors que les villes et les municipalités se sont vu imposer des restrictions de taux de rejets des eaux vers les systèmes d’égout, en raison de l’augmentation de la densité urbaine et des surfaces imperméables. Cette augmentation importante entraînait en effet un débit excédant le niveau de capacité d’absorption de la plupart des infrastructures urbaines et des cours d’eau récepteurs. En continuité avec l’imposition de taux, le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs a émis le Guide de gestion des eaux pluviales qui encourage les municipalités à s’intéresser à des méthodes alternatives, misant sur la qualité de la gestion des eaux plutôt qu’à des systèmes de canalisation souterrains à usage unique. C’est alors qu’on a commencé à revoir les solutions en matière de gestion de l’eau, pour les adapter à cette nouvelle situation.
Le premier parc éponge au Québec aménagé à Montréal
À la suite d’un rapport rédigé en 2017 par la Commission permanente sur l’eau, l’environnement, le développement durable et les grands parcs recommandant l’aménagement d’un parc résilient à Montréal, le site de la place des Fleurs-de-Macadam a été sélectionné pour accueillir le premier projet pilote d’espace de gestion de l’eau sur place publique au Québec. Avec la collaboration de la firme d’architecture de paysage NIPPAYSAGE, EXP a réalisé la conception des plans et devis ainsi que la surveillance durant les travaux.
Lors d’un projet de gestion de l’eau comme celui de l’intégration d’un parc résilient à une municipalité, il est nécessaire de définir les rôles et responsabilités de chaque intervenant, les critères de performance à concevoir, de planifier les critères et les contraintes de l’ouvrage proposé ainsi que de procéder aux études préalables. EXP est en mesure de fournir plusieurs services en lien avec ce type de projet, notamment les études géotechniques et environnementales, les études de perméabilité, les relevés d’arpentage, des simulations de nivellement en 3D et des simulations de comportement hydraulique.
La place des Fleurs-de-Macadam devait proposer aux citoyennes et citoyens un espace urbain où ils pourraient profiter pleinement des investissements de la Ville de Montréal en gestion des eaux pluviales, grâce à des aménagements urbains favorisant la détente, les loisirs et la cohésion intergénérationnelle. L’intégration de mobilier urbain et d’un bassin muni de brumisateurs permet aux utilisatrices et aux utilisateurs de se rafraîchir en période estivale, tout en profitant d’un espace accueillant. L’aménagement du site contribue aussi à la revitalisation de l’espace public, à l’atténuation de l’effet d’îlot de chaleur en milieu urbain, au verdissement de l’arrondissement, tout en offrant un lieu de détente et d’émerveillement aux passants de l’avenue du Mont-Royal. Située sur un terrain abritant auparavant une station-service, la Place des Fleurs de Macadam est un véritable joyau en plein cœur de Montréal, imbriqué dans une logique culturelle, environnementale et sociale.
Cette place publique permet de recueillir les eaux pluviales provenant des rues adjacentes, pour ensuite les acheminer vers l’espace central. Grâce à l’usage d’un bassin de biorétention et de phytotechnologie, on parvient à collecter, filtrer et traiter les eaux pluviales. L’objectif principal de ce parc est d’arriver à infiltrer la totalité des eaux de ruissellement selon un indice de récurrence de pluie sur 25 ans. La conception proposée par EXP vise un dépassement des objectifs d’infiltration, puisque les simulations effectuées, selon le modèle proposé, ont prouvé que le projet excédait les attentes et qu’il permettrait l’infiltration totale des eaux pluviales jusqu’à une récurrence de pluie de 100 ans. Des tests effectués par la Ville de Montréal et l’INRS ont eu lieu et ont permis de confirmer le niveau de performance des aménagements.
Depuis l’inauguration du site, au printemps 2022, les citoyennes et citoyens se sont rapidement approprié l’espace. Lors des périodes de pluies intenses, ils étaient au premier plan pour observer le comportement de l’eau du site et ont pu constater l’efficacité des infrastructures novatrices en place dans ce parc résilient. Encore à ce jour, le parc attire encore l’attention lors d’épisodes de pluies diluviennes, ou même en période de canicule où il est possible de se rafraîchir en profitant des brumisateurs.
Le rôle crucial des infrastructures vertes
Le succès de la Place des Fleurs-de-Macadam a joué un rôle déterminant dans l’aménagement de plus en plus répandu des parcs résilients en réponse aux changements climatiques, avec de nombreux exemples à travers la province, notamment le parc Dickie-Moore et le parc Howard. Bien que ce projet ait été une première au Québec, EXP contribue depuis longtemps à la conception d’infrastructures vertes. L’expertise globale d’EXP a été mise à profit dans divers projets qui ont permis de diminuer les impacts des changements climatiques sur les infrastructures urbaines et d’augmenter la résilience des villes.
Dans le cadre du réaménagement de l’ancienne friche industrielle Currie à Calgary, les équipes pluridisciplinaires d’EXP ont participé à l’aménagement d’infrastructures urbaines résilientes, visant à créer un milieu de vie durable. Au cœur de ce projet, des bassins de biorétention et des jardins conçus avec des sols davantage perméables facilitent l’infiltration et le traitement des excès d’eau lors des périodes de précipitations. Les différents végétaux utilisés, qui jouent un rôle clé dans les infrastructures vertes, reproduisent le fonctionnement des espaces de rétention naturelle, souvent moins présents en milieu urbain en raison de l’espace limité.
À Montréal, le projet de réaménagement de l’avenue Papineau s’inscrit également dans cette approche. L’intégration de trente-huit bassins de biorétention et de bassins végétalisés sur environ 1,2 km ont transformé ce tronçon routier en un espace vert, tout en réduisant la pression sur le système d’égout existant. Comme pour le projet Currie à Calgary, les expertes et experts d’EXP ont utilisé une grande variété de végétaux pour favoriser l’infiltration et le traitement des eaux pluviales. Cet aménagement permet de traiter environ 10 000 mètres cubes d’eaux pluviales chaque année et de retirer 80 % des matières solides en suspension dans l’eau traitée, grâce aux 40 000 végétaux plantés sur le site.
Concevoir des espaces publics qui représentent une solution durable pour contrer les effets des changements climatiques et dans lesquels les citoyens et citoyens peuvent profiter pleinement de la vie urbaine constitue une très grande fierté pour les ingénieures et ingénieurs.
Pour en apprendre davantage sur nos services en gestion des eaux pluviales, cliquez ici et communiquez avec Alexandre Lynch, chargé de projets en infrastructures urbaines.
1 Source (en anglais) : De Urbanisten (Watersquare Benthemplein, Rotterdam — DE URBANISTEN)